Si le Droit International des Droits de l’Homme, et par notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, consacre la la liberté de la presse, diverses branches du Droit International offrant des protections supplémentaires aux journalistes dans l’exercice de leur profession, notamment dans le contexte de conflits armés.
Si le terme “journaliste” pris dans son sens large, recouvre l’ensemble des professionnels des médias, le Droit International applicable aux conflits armés et offrant aux journalistes une protection distingue les “journalistes” des “correspondants de guerre”, ces derniers étant des journalistes qui sont présent sur des théâtres de conflits armés et suivent les opérations militaires menées par les parties à ce conflit. Les correspondants de guerre ne sont pour autant pas membres des forces armées qu’ils accompagnent. En revanche, les membres de la presse militaire ne sont pas des “correspondants de guerre” en ce qu’ils appartiennent aux forces armées des parties au conflit, ces derniers ne bénéficient pas des mêmes protections, qui ne seront pas développées ici.
Le Droit International Humanitaire (DIH), couramment appelé “Droit de la Guerre” offre certaines protections aux journalistes. Il est nécessaire de préciser d’emblée que le DIH ne protège pas expressément la liberté d’expression. Pourtant, en mentionnant le cas des journalistes et reporters dans ses textes, le DIH semble indirectement donner une légitimité au rôle des correspondants de guerre sur un théâtre d’hostilités. Dès la fin du XIXème siècle, l’Article 13 des Conventions de La Haye de 1999 et 1907, suivies par la Convention de Genève de 1929 protègent les correspondants de guerre :
“Les individus qui suivent une armée sans en faire directement partie, tels que les correspondants et les reporters de journaux, […] qui tombent au pouvoir de l’ennemi et que celui-ci juge utile de détenir ont droit au traitement des prisonniers de guerre, à condition qu’ils soient munis d’une légitimation de l’autorité militaire de l’armée qu’ils accompagnent”
(Article 13, Convention de La Haye de 1999)
“Les individus qui suivent les forces armées sans en faire directement partie, tels que les correspondants, les reporters de journaux, […] qui tombent au pouvoir de l’ennemi et que celui-ci jugera utile de détenir, auront droit au traitement des prisonniers de guerre, à condition qu’ils soient munis d’une légitimation de l’autorité militaire des forces armées qu’ils accompagnaient”
(Article 81, Convention de Genève de 1929)
Ces deux textes offraient déjà aux correspondants de guerre les protections associées au statut de prisonnier de guerre”, s’ils remplissent une condition : l’accréditation (ou légitimation) par les forces armées qu’ils accompagnent. Les correspondants de guerre bénéficient alors d’un statut flou situé entre les civils et les membres des forces armées.
En 1949, ce principe est repris par la IIIe Convention de Genève, relative aux prisonniers de guerre en précisant cette-fois ci que le correspondant de guerre tombé aux mains de l’ennemi est bien un prisonnier de guerre, et non plus qu’il bénéficie du même traitement. La condition de l’autorisation des forces armées est maintenue, à ceci-près que le correspondant de guerre n’est plus tenu de posséder sur lui une carte d’identité justifiant de son statut. En cas de doutes, la personne capturée bénéficie du statut de prisonnier de guerre tant qu’un tribunal compétent n’a pas statué sur cette question.
“Sont prisonniers de guerre, au sens de la présente Convention, les personnes qui, appartenant l’une des catégories suivantes, sont tombées au pouvoir de l’ennemi : […] les personnes qui suivent les fores armées sans en faire directement partie, telles que les […] correspondants de guerre, […] à condition qu’elles aient reçu l’autorisation des forces armées qu’elles accompagnent, celles-ci étant tenues de leur délivrer à cet effet une carte d’identité semblable au modèle annexé; […]”
(Article 4, Convention de Genève III de 1949)
La principale limite de ce régime tient dans la quasi-absence de protection des correspondants de guerre dans un contexte de conflit armé non-international, la IIIe Convention de Genève ne s’appliquant qu’aux conflits armés opposant deux ou plusieurs États. Or, de nombreux journalistes sont capturés, par des groupes armés dans le cadre de conflits armés non-internationaux.
Dans un contexte de multiplication des conflits armés non-internationaux, est apparue dans les années 1970 un projet de Convention destinée à assurer la protection des “journalistes en mission périlleuse”. Ce projet fut finalement abandonné pour être intégré dans le futur Protocole Additionnel I aux Conventions de Genève, à l’actuel Article 79, adopté en 1977, intitulé “Mesures de protection des journalistes” :
“1. Les journalistes qui accomplissent des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé seront considérés comme des personnes civiles au sens de l’Article 50, paragraphe 1.
2. Ils seront protégés en tant que tels conformément aux Conventions et au présent Protocole, à condition de n’entreprendre aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles et sans préjudice du droit des correspondant de guerre accrédités auprès des forces armées de bénéficier du statut prévu par l’Article 4.A.4 de la IIIe Convention.
3. Ils pourront obtenir une carte d’identité conforme au modèle joint à l’Annexe II au présent Protocole. Cette carte, qui sera délivrée par le gouvernement de l’État dont ils sont les ressortissants, ou sur le territoire duquel ils résident ou dans lequel se trouve l’agence ou l’organe de presse qui les emploie, attestera de la qualité de journaliste de son détenteur.”
(Article 79, Protocole Additionnel I de 1977)
Pour autant, si la protection des correspondants de guerre est élargie, aucun statut spécial de journaliste n’est créé, ce qui était pourtant le cas dans le projet de Convention. Projet selon lequel les parties à un conflit armé devaient “faire tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger les journalistes”. La création d’un tel statut n’est pas vide de sens : d’autres catégories de personnes, en raison de leur profession et de leur rôle vis-à-vis des hostilités, bénéficient d’un statut spécial en DIH : le personnel sanitaire, religieux, le personnel des organismes de protection civile… leur offrant une protection supplémentaire s’ils sont distinctement identifiables.
Le journaliste correspondant de guerre, en mission professionnelle périlleuse reste avant tout une personne civile, tel que précisé par l’Article 79 du Protocole Additionnel I susmentionné, et ce, quelque soit la nationalité ou un quelconque lien entre le journaliste à et partie au conflit. Ils bénéficient à ce titre de toutes les normes protégeant les civils, notamment l’interdiction de faire l’objet d’attaques directes. Ainsi, attaquer délibérément des journalistes - comme d’autres civils - qui ne participent pas directement aux hostilités aux termes du DIH, est constitutif d’un crime de guerre. Cette règle - coutumière - s’applique aussi bien aux conflits armés internationaux qu’aux conflits armés non-internationaux. À ce titre, il est fondamental de distinguer les “correspondants de guerre” des “membres de la presse militaires” qui eux, ne sont pas considérés comme des civils mais comme des combattants et peuvent être ciblés dans le cadre d’un conflit armé. Qu’un correspondant de guerre soit accrédité par une partie au conflit ici importe peu : un journaliste non-accrédité ne perd pas son statut de civil et bénéficiera donc des mêmes protections que celles accordées aux autres personnes civiles.
Il est cependant important de noter que le journaliste qui prendrait trop de risques en suivant par exemple de trop près une unité militaire ne pourra se prévaloir de la protection accordée aux civils lorsque l’unité en question est visée par une attaque directe, cette unité étant un objectif militaire licite (sous réserve que les autres dispositions du DIH autorisent cette attaque).
Par ailleurs, le matériel des journalistes qui suivent les opérations militaires, au même titre que les locaux et installations des médias, même si ceux-ci se trouvent au coeur d’un théâtre d’hostilités, sont protégés par le DIH en tant que biens à caractère civil et ne peuvent être l’objet d’attaques directes ou de représailles armées (sous réserve que ceux-ci ne constituent pas des objectifs militaires en application des normes pertinentes de Droit International Humanitaire). Les locaux de l'Agence France Presse ce jeudi 2 novembre à Gaza, endommagés vraisemblablement par une frappe israélienne, sont couverts par cette protection.
Le Conseil de Sécurité de l’ONU a rappelé en 2006 puis en 2015 la nécessité de mettre fin aux attaques délibérées contre les journalistes dans le cadre de conflits armés et a exhorté les États à respecter les obligations du DIH protégeant les correspondants de guerre, tout en appelant à mettre fin à l’impunité dont bénéficient les auteurs de violations de ces normes, face à l’augmentation du nombre de journalistes tués ou blessés dans le cadre de conflits armés et face aux nouvelles menaces pesant sur les journalistes (enlèvements ou assassinats par des groupes armés…) :
“Le Conseil de Sécurité, […] rappelle […] que les journalistes, les professionnels des médias et le personnel associé qui accomplissent des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé doivent être considérés comme des personnes civiles et doivent être respectés et protégés en tant que tels, à la condition qu’ils n’entreprennent aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles, et sans préjudice du droit des correspondant de guerre accrédités auprès des forces armées de bénéficier du statut de prisonnier de guerre prévu par l’article 4.A.4. de la troisième Convention de Genève.”
(Résolution S/RES/1738 (2006) du Conseil de Sécurité)
Si ces normes semblent être relativement fortes afin de protéger les correspondants de guerre, les divers conflits des dernières décennies ont montré que les journalistes sont régulièrement l’objet d’attaques directes et délibérées, d’enlèvements, d’actes de torture ou d’assassinats. Les auteurs de ces crimes étant par ailleurs rarement poursuivis et condamnés pour ces actes, créant un climat d’impunité rendant le travail des correspondants de guerre encore plus périlleux (tout en mettant en péril le droit à l’information des populations ainsi que la liberté de la presse). Le Conseil de Sécurité, dans les résolutions mentionnées plus tôt, a rappelé l’obligation pour les États de mener des enquêtes impartiales et de poursuivre les auteurs de ces crimes :
“Le Conseil de Sécurité […] exhorte les États Membres à prendre les mesures voulues pour que les auteurs de crimes commis contre des journalistes, des professionnels des médias et des membres du personnel associé en période de conflit armé aient à rendre des comptes, et à mener des enquêtes impartiales, indépendantes et efficaces sur le territoire relevant de leur juridiction pour qu’ils soient poursuivis en justice”.
(Résolution S/RES/2222 (2015) du Conseil de Sécurité)
Dans le cadre du Conseil de l’Europe, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a également rappelé dans sa jurisprudence que l’État est tenu de mener une enquête effective lorsque toute personne a subi des blessures potentiellement mortelles, est décédée, a disparue, et ce, peu importe que l’auteur potentiel soit un agent de l’État. Cette jurisprudence, émanation de l’application du principe du Droit à la Vie (Article 2 Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales) a vocation à s’appliquer quelque soit la qualité des victimes ou le contexte, il est dès lors possible d’y inclure les cas de journalistes blessés, tués ou enlevés dans des conditions suspectes dans le cadre d’un conflit armé.
Les hostilités récentes dans la Bande de Gaza et sur le territoire israélien tout comme le conflit ukrainien ont démontré que les principales limites des protections offertes aux journalistes couvrant un conflit armé sont celles inhérentes à l’application générale du Droit International en raisons de blocages souvent de nature politiques comme celui du Conseil de Sécurité de l’ONU. Dès lors, il est impératif que, quelques soient les enjeux politiques, stratégiques ou encore économiques, la communauté internationale puisse élaborer des normes multilatérales contraignantes afin de protéger efficacement les correspondants de guerre, tout comme les personnes civiles victimes des conflits armés.
Alix Renaudin